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6 août 2009 4 06 /08 /août /2009 00:10

La mort pour ceux qui restent, c’est l’absence, le manque, le vide et leurs compagnons : le souvenir dans les cœurs, et les vies, et les images et les objets laissés par le disparu…


Aucun sentiment d’injustice ne vient alourdir ma peine d’avoir vu Christine frappée par le cancer si jeune. Aucun sentiment d’échec ne vient alourdir ma peine d’avoir vu partir Christine si tôt sans y pouvoir rien changer et de maintenant mesurer à quel point elle m’était intime équilibre. Ma formation et ma philosophie me font admettre cette mort sans colère : certaines maladies frappent à tous âges et restent incurables même dans nos civilisations 'avancées'.

Mais je ressors très fatigué. J’ai mis tant d’énergie à accepter et à gérer la maladie depuis si longtemps pour la rendre la moins insupportable possible pour Christine et nos filles !

Aujourd’hui je me sens infiniment libéré, mais de la liberté chancelante de qui ressort au jour après des mois de nuit et d'immobilité.

J’ai peur que la vie ne soit bien plus dure que ces derniers mois si j’en juge par ce que disent ceux qui ont vécu ou vivent un deuil.

Ces quelques jours dans la maison ou ailleurs sans Christine m’en sont la preuve viscérale. Je ne la cherche pas. Je vais soigner les fleurs sur sa tombe de sable sans larmes à flots – je pleure rassurez-vous ! J’ai repris le travail avec une certaine efficacité et envie. Je me dépatouille des paperasseries incroyables qui vous tombent dessus après un décès dans notre beau pays si civilisé ! Et je tombe sur ses affaires, je feuillette nos albums photos et la place dans notre lit est vide… Et ça fait mal.
C’est le goût de bile avant d’éteindre la lumière.
C’est l’éveil en pleine nuit et la difficulté de se rendormir.
C’est le vide de la place à table ou devant la télé.
C’est maintenant une de nos filles qui s'assied en voiture à l'avant près de moi au volant.

Nounours agoraphobe épris de vie sous toutes ses formes, avec quelques réticences vis-à-vis de l’espèce humaine, je vivais en couple, dans la place forte familiale construite sur l’amour solide d’une femme.

Cette forteresse nous permettait de tenir une place discrète mais satisfaite et active dans la société que nous souhaitions améliorer de notre travail. La forteresse a implosée. Ma bien-aimée a perdu son combat.
Ses seins me manquent… depuis des années… et sa présence, son rire, son esprit, sa peau depuis quelques semaines.
Tout c’est fini par KO. La mort nous a séparés. La maison est pleine d’elle.

Nous avons appris ensemble l’amour, l’homme et la femme, les enfants, la famille soudée, la sécurité d’un chez-soi matériel, spirituel et charnel où nous nous évadions égoïstement de la rigueur, de la vénalité et de la dureté du monde dans un doux ressourcement.

Nous nous engueulions et nous nous boudions parfois ; nous n’échappions pas aux tensions et aux petits agacements entre conjoints et amants ; nous n'étions pas, surtout moi, parfaits mais tout ça n’était rien et l’amour était fort.

Je sais que Christine est partie et ne reviendra pas…
L’amour est en moi, amputé, orphelin… Il fait mal…
Il a besoin d’une greffe, d’un pansage… Il ne se tarit pas...
Je ne vais pas aimer une morte. C’est formellement impossible et résolument déraisonnable.

J’ai une envie irrépressible de donner à une autre, qui n’est pas Christine et ne le sera jamais, ce que je lui donnais avant son départ pour le néant ; une autre qui, quelque part, me comprend et ressent quelque chose qui ressemble à ce que j’essaie de dire ; une autre vers laquelle j’ai le désir enfantin de partager ce que j’ai appris, compris, ce que je ressens ; une autre que je pourrai peut-être aider dans un partage intime de vécus si intenses ; une autre dont j’ai envie d’apprendre tout ce qu’elle sait et que je ne sais pas et avec qui, de deux vies secouées, nous reconstruirions une nouvelle forteresse.

Un mois après la mort de Christine, la vie et l’amour me disent de chercher l’âme sœur dès aujourd’hui pour polir et rassembler les pierres de nos anciennes tours écroulées, pour qu’au plus vite le souvenir de Christine me soit tendre et douce nostalgie et non devienne une maladie chronique, un matelas de silex, une plaie vive et lancinante d'où sourdra continuellement le sang noir des cauchemars récurrents.

Demandé-je ici qu’une femme se glisse dans le lit encore chaud laissé par Christine ?
Demandé-je l’échange standard de ma femme morte par une autre ?
Oui, peut-être, probablement. Non pas exactement. Pas si simple après tant de souffrance physique et morale ou tellement normal et animal pour retrouver l'équilibre rompu et éviter la chute du funambule.

Suis-je si naïf ou si mal en point de mon deuil tout neuf que je dise cela ?

Quelques kilomètres au compteur de la vie pourtant et aussi parcourus sur tous les continents où maladie, politique ou pauvreté ne laissent pas trop de chance aux faibles.

Mes propos paraîtront obscènes à certains mais ils sont à 1 000 lieues de cela.

Une certaine logique cartésienne ou morale, allez savoir, l’éducation, les règles de notre société me disent de penser à mes filles de respecter leur deuil et celui des parents de Christine, de prendre le temps…

Oui, mais à attendre et à ressasser les moments passés et leur impossible continuation au présent, seul ou avec des gens qui ne connaissent rien à la mort d’un conjoint, ne devient-on pas fou ?
Ne sombre-t-on pas dans la dépression sévère ?
Ne laisserai-je pas filer un temps précieux de vie si ténue, si brève, si aléatoire ?
Et puis l’équilibre pour mes filles ne sera-t-il pas meilleur si moi-même je retrouve le mien auprès d’une autre ?

Pour ceux qui auront lu jusqu’au bout merci de votre patience.

Si mes propos vous ont agacés ou choqués, je vous prie de m’en excuser et vous demande de ne pas perdre votre temps à me faire part de vos griefs.

A l'inverse s'ils évoquent en vous un écho aussi puissant que le sens que j'y ai placé, s'ils appellent vos réactions, vos retours d’expériences, votre compréhension, vos questions alors merci de les commenter.

Avec tous mes vœux de force et d’amour pour ceux et celles qui sont dans la peine.

 

Hier : Chronique de ta Mort Annoncée

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5 août 2009 3 05 /08 /août /2009 23:45

J’ai rencontré Christine il y a 25 ans.
Nous nous marions à 20 ans encore étudiants.
Pendant 10 ans nous bossons comme des fous pour nous lancer dans la vie.

1992 : Nous avons les boulots espérés et c’est notre première fille : Réussite d’un jeune couple dynamique.

1994 : quelques jours après avoir signé notre maison, on identifie dans un sein de Christine, la tumeur de mauvais pronostic qui la tuera.
Passées les questions et la rage, Christine prend le crabe par les pinces et je l’aide.
Elle passe 3 semaines en chambre stérile sous chimio intensive, vomit tripes et boyaux, est transfusée, perd la moitié d’un sein, plusieurs fois ses cheveux et est irradiée fortement.

1996 : Christine est enceinte alors qu’on nous avait annoncé sa stérilité définitive et naît notre deuxième fille.

1998 : On découvre des tumeurs dans l’autre sein de Christine qui est enlevé en totalité.
C’est très dur. Nous avons 34 ans. Je fais mon possible pour dire à Christine que même avec un demi-sein sur deux et une tête de Barthez (coupe du monde de foot oblige) je serai toujours là quoi qu’il advienne.

Christine accepte alors tous les traitements proposés et passe 7 ans de chimio, de rayons et autres plaisanteries, avec des répits et la trouille chronique des résultats des contrôles.
Mon amour et mon admiration pour elle ne vont cesser de croître.
Les filles grandissent ; l’ainée saura dès 10 ans ce qu’a sa maman ; la cadette que c’est une maladie grave qui oblige traitements et cause fatigue et handicap.

2005 : Métastases cérébrales et lombaires apparaissent.
Christine est irradiée au cerveau.
Elle ne peut plus conduire.
Elle perd définitivement les trois-quarts de ses cheveux.
Je l’aime toujours plus dans mon cœur même si l’amour du corps prend des coups sournois.

2008 : Les chimio se poursuivent mais c’est l’échappement thérapeutique définitif.
Je demande et j’ai la confirmation qu’il reste moins d’un an de vie à Christine. Ces 11 derniers mois sont fous pour gérer le boulot, l’annonce aux filles et mettre en place la fin de vie de ma bien-aimée, que je veux à la hauteur de son courage et de sa volonté.

2009 : Je réussis à la convaincre d’être prise en charge par un réseau de soins palliatifs à domicile. Elle fait deux séjours à l’hôpital en mars et mai quand son état est trop dur à gérer à la maison. Christine ne pourra plus marcher, se lever, écrire, manger ni parler.

Christine a toujours poursuivi son travail ne s’arrêtant que quand des opérations étaient nécessaires ou que les effets secondaires des traitements étaient trop handicapants. Elle est active jusqu’en mars où ses facultés intellectuelles sont alors irrémédiablement dégradées.

Grâce à des soignants extraordinaires d’efficacité, d’humanité et de dévouement, sa famille, ses amis et notre amour, Christine a pu s’endormir dans son lit à la maison le 1er juillet après 15 années de combat héroïque et une force de vie démente dont nous restons très nombreux abasourdis.

Je témoigne que sa mort m’est un infini soulagement tant sa déchéance physique fut terrible au fil des ans et que malgré cela nos corps se sont souvent unis et que je lui suis resté fidèle.

La dépouille de Christine est restée à la maison pour nous recueillir jusqu’à son enterrement et j’ai mené la cérémonie d’adieu en lisant un très long texte avec ma grande fille, des parents et des amis chers devant 120 personnes.

Christine repose en paix sous une montagne de fleurs dans le cimetière de notre village depuis le 4 juillet.


Aujourd’hui : Morte et Cherche Inconnue


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Présentation

  • : Les Lettres d'Everes
  • : Un flux de mots forts : 15 ans de cancer ; la mort à 45 ans ; Christine m'a appris l'amour, l'humanité et la volonté de vivre ; écrire m'a permis de garder un équilibre funambule ; nouvelle vie sans balancier ni clé ni calendrier : j'espère ; Pandorryana, une lumière, aussi vive qu'inattendue a surgi ; ma vie est révisée de fond en comble ; trois ans ont passé ; j'aime toujours la vie.
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